L’action de grâce d’un prêtre cancéreux
P. Christian Delorme
Lyon, le 3 décembre 2025
Dieu de bonté et de tendresse,
en Ta présence je me tiens aujourd’hui,
le cœur ouvert, dans une profonde action de grâce.
Merci pour la longue route parcourue,
pour toutes les années reçues comme un don,
pour les innombrables visages qui ont éclairé mes jours,
pour les multiples rencontres qui m’ont façonné,
pour toutes les aventures humaines que tu m’as permis de vivre.
Tu m’as comblé bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer.
Ta grâce, étonnante, a toujours accompagné mes pas,
y compris quand je me perdais sur les chemins du péché.
Voici quelques mois, le Crabe est venu s’immiscer dans mon existence.
Tu m’accordes, Seigneur, la grâce de l’accueillir sans révolte ni peur,
un peu comme un compagnon donné mystérieusement
pour la dernière étape de ma vie.
À soixante-quinze ans, ce cancer n’est pas un scandale :
il est l’enfant du vieillissement,
et le vieillissement est lui-même un cadeau,
quand tant d’autres n’ont pas eu le temps de vivre.
Merci, Seigneur, pour cette paix intérieure que Tu déposes en moi,
pour cette joie têtue que j’éprouve,
pour cette force d’âme qui continue de jaillir,
même lorsque mon corps s’affaiblit.
Merci pour ce présent que je n’avais jamais autant habité,
et qui est devenu maintenant ma première demeure,
ce présent que je découvre et goûte comme un sacrement.
Dans la fatigue qui parfois m’écrase,
dans les jours où la parole se tait
et où je reste immobile,
tu es là silencieux à mes côtés.
Quand ma prière ne se fait même pas murmure,
tu accueilles mes pensées et mes rêves comme une offrande.
Merci pour toutes les mains qui se tendent vers moi,
pour les infirmières et les aides-soignant(e)s dont la bienveillance
révèle l’immense beauté du cœur humain.
Merci pour toutes celles et tous ceux qui me lavent,
me soutiennent, me soignent,
comme on prend soin avec amour d’un père ou d’un grand-père.
En eux, Seigneur, je reconnais Ton visage.
Merci pour les centaines de personnes, de toutes confessions,
qui prient pour moi,
qui pensent à moi,
qui m’écrivent ou qui me visitent.
Je ne suis pas seul, et c’est un autre miracle de Ta grâce.
Mais, Seigneur, je Te le redis :
ne leur inspire pas de demander ma guérison.
J’ai tant reçu déjà.
Accorde-moi seulement de garder la paix, la joie intérieure,
le courage et la gratitude de vivre chaque nouveau jour comme un don.
Je te présente avec insistance, Seigneur,
tous ceux que je croise à l’hôpital :
ces enfants, ces adolescents,
ces jeunes femmes et ces jeunes hommes
dont la vie ne fait que commencer,
mais qui doivent déjà supporter le fardeau de la maladie.
Qu’il plaise à Ta volonté
de permettre leur guérison, de les relever.
Donne-leur la chance de construire leur histoire :
ce ne serait que justice.
Oui, que ma vie, dans sa finitude,
reste un chant de confiance.
Que mon corps diminué et disgracieux soit louange,
que chacun de mes souffles soit un merci.
Car ta grâce, Seigneur, est vraiment inépuisable,
et je veux pouvoir la chanter tant que Tu me donneras de vivre.
Amen